J’étais dans l’avion, de retour d’un voyage professionnel en Suède, quand un ami à moi m’a dit sur Facebook “Ca pete à Paris”. J’avais le wifi tout là-haut, et j’ai passé les heures qui ont suivi à suivre la situation via médias interposées, et surtout, à envoyer des messages à mes amis proches, qui pour la plupart vivent, sortent, et boivent des coups dans le 11eme. Je ne me souviens pas vraiment du 11 septembre, mais je crois que je me souviendrais de ces minutes suspendues, dans l’espace doux et feutré que représente un avion en vol, où j’ai eu le sentiment de porter un lourd secret que les autres passagers ne soupçonnaient pas encore. Ou peut-être le savaient-ils, mais chacun s’est tu.
J’ai eu la chance de faire des études, dans le domaine de la science politique, parlant au quotidien, alors, de géopolitique, de défense, de dynamiques internationales, des impacts humains de certaines décisions stratégiques et autres sujets divers. Et j’ai parfois la fâcheuse tendance à analyser froidement certains évènements. C’est une déformation. J’ai à ce titre été un peu maladroite dans ma gestion des évènements de janvier, vis à vis de mes proches notamment. Bref, dans ce contexte, on aurait pu croire qu’il en serait de même ici. Qu’il en serait de même en ce 13 novembre, et dans les jours qui allaient suivre.
Absolument pas. Je tente aujourd’hui de comprendre un peu plus mes réactions, et je partage ces réflexions dans l’espoir de me donner des réponses. Et pourquoi pas, de faire passer un ou deux petits messages aux personnes qui me liront. Car c’est bien d’un appel à la paix, a l’espoir et la vie dont il s’agit ici. Car je refuse de ne plus y croire.
Laisser parler son corps et son cœur.
Comme d’habitude, sous la pression, j’ai d’abord réagi pour essayer de « contrôler » ce qui pouvait l’être. Qui est sur Paris, qui contacter pour avoir des nouvelles d’un maximum de personnes ? Qui aura les informations sur tel ou tel ami ? J’ai envoyé des messages, donné quelques recommandations bien désuètes, demandé à ce qu’on me tienne informée.
Et puis, il y a eu ce moment où j’ai su que tout le monde était sauf. Et en parallèle, les évènements continuent de se dérouler, le nombre de blessés, de potentiels décès, augmente. Mais il n’y avait rien d’autre que je puisse faire. Et c’est là qu’en général tout devient plus compliqué pour moi. Attendre, ne rien pouvoir faire. Pendant toute la soirée, et les deux jours qui ont suivi, la sensation d’apnée ne m’a pas quitté. Cette sensation de gueule de bois, de saturation. J’ai refusé de lire des articles, de me mêler aux premiers débats, je voulais juste m’entendre ne pas penser, et pouvoir tranquillement pleurer sous la douche. Mes colocataires, recevant des amis, n’étaient pas particulièrement intéressés par la situation, et ce fut, je pense, plutôt salvateur.
Et puis je me suis un peu ré-ouverte au monde extérieur. J’ai ressenti le besoin de lire les réactions de mes compatriotes, de mes amis, de ces bloggeuses « futiles » que je suis, de scroller les fils Instagram et Facebook, pour prendre la température.
Lundi, au travail, je n’ai pas été capable de faire de la conversation de comptoir à la machine à café, qui pour l’essentielle, étonnement, ne tournait pas autour de Paris. J’ai répondu timidement (moi qui suis une grosse pipelette) a mes quelques collègues qui demandaient si mes proches allaient bien. J’avais la gorge encore serrée, et les larmes aux yeux. Je me suis énervée contre certaines réactions démontrant peu de sensibilité (« oui enfin bon, y’a quand même pas que Paris hein ») de la part de certains autres collègues, et je me suis sentie vidée.
Et puis, j’ai ouvert la porte à toutes ces ondes positives, tous ces témoignages du monde entier, toutes ces personnes qui Nous adressaient leur soutien. J’ai vu tous ces témoignages de français, qui criaient haut et fort leur amour de la vie, leur refus des amalgames, leur soutien aux réfugiés, leur « touchés mais pas coulés ». Et sans pour autant oublier le reste du monde. J’ai vu beaucoup de sagesse.
Et j’ai pour une fois pris le temps de me sentir française. Avant toute chose. Avant d’être une humanitaire, avant de penser aux évènements de Beyrouth, avant de penser aux étudiants de Garissa au Kenya. Je ne les ai pas oubliés, non. Ils sont la raison de mon travail quotidien. Je me suis juste autorisée à être moi. Et à m’entendre. Sans m’auto-flageller.
Et puis, les batteries se sont un peu rechargées. Assez rapidement dans mon cas, bien que je ne sois pas encore au maximum de ma forme. Pour certains, il faudra des semaines, pour d’autres des mois, et pour d’autres, la blessure sera douloureuse pendant encore plus longtemps. A coup de musiques débiles, d’animaux rigolos en vidéo, d’humour aussi. De lectures légères en gaufres au chocolat, j’ai retrouvé un peu de ma légèreté.
Résister à la paresse intellectuelle.
Et alors, on commence à véritablement observer les réactions autour de soi. Je ne parle pas ici de nos dirigeants, je parle de vous. Je parle de ce qui fait la France au quotidien. De ce qui fait le monde au quotidien. Et j’ai été absolument frappée par la modération, l’unité, et par la profondeur de la plupart des débats que j’ai pu voir. Sans y prendre directement part, et sans dire qui a raison, qui a tort (encore faut-il que ce soit aussi simple), j’ai observé des gens qui étaient capables de mettre des mots sur leurs ressentis et leurs émotions, des mots sur des idées, sans se crisper.
Et cela doit continuer. Nous avons parfois tendance à nous « fermer » aux discussions, parce que « de toute façon on nous ment, de toute façon on ne peut rien faire, de toute façon c’est trop compliqué ». C’est à cela que nous devrons résister dans les prochaines semaines. C’est cette simplification qui explique en partie les radicalisations de tout type. Mais comment faire, dans un contexte aussi complexe ?
Nous devons accepter de ne pas pouvoir tout solutionner, nous devons accepter de ne pas uniquement recevoir les informations sur un plateau, nous devons accepter que cela requiert quelques efforts. Je ne parle pas ici de devenir des experts en « organisations terroristes " ou en « géopolitique ». Je ne parle pas de connaitre l’organigramme de Daech, ou de la coalition qui frappe en Syrie par cœur. Je parle ici de faire l’effort de lire quelques articles, de chercher une définition dans le dictionnaire si l’on n’est pas surs, et de ne pas propager des informations dont nous ne sommes pas certains qu’elles soient vraies.
Le brouillard médiatique est très difficile à gérer, mais il suffit parfois de peu pour clarifier ses pensées. A défaut de tout comprendre, on fait de notre mieux. Pour une seule et unique raison. Eclairer nos choix. Pour pouvoir prendre position si le besoin s’en fait sentir, pour pouvoir prendre des décisions documentées, dans le futur. Il faudra faire confiance à nos élites sur bien des points, mais il est de notre responsabilité de le faire consciemment.
Nous pouvons retourner à nos vies, et nous le devons, en « acceptant le risque ».
Revenir à la simplicité ne doit pas signifier simplification des idées. Cette acceptation d’un risque ou d’une position doit être faite avec conscience. Pour nous, pour nos enfants, pour ceux aussi qui n’ont pas cette possibilité. Pour ceux à qui les choix sont imposés. Plutôt que de passer du temps à lire des articles sur des débats creux, on arrête tout. On aère son cerveau, on reprend son souffle, et on se concentre un peu plus sur des articles de fond, pour essayer de comprendre. Autant que faire se peut. Et sans pression. Nous n’aurons jamais toutes les cartes et toutes les informations en main.
Et reprendre le cours de sa vie... mais en encore mieux !
J’ai pu observer sur internet et dans mon entourage beaucoup de réactions du type « Je vais aller au bar, je vais me prendre une bière, je vais aller à ce concert, je vais m’habiller comme je le souhaite et je vais crier mes valeurs ». Beaucoup de bloggeuses ont exprimé leurs difficultés à revenir avec des articles futiles, mais ont souhaité le faire, comme pour exorciser leurs émotions, et aussi pour offrir un peu de normalité a leurs lecteurs. Alors oui, foncez ! Faites toutes ces choses, puissance mille. Toutes ces choses qui font que vous aimez la vie. N’attendez pas demain.
Mais si, dans cette explosion de vie, on pouvait n’oublier personne, ce serait encore le mieux non ? Si toutes ces professions de foi (car oui, la foi et « prier » ne relèvent pas uniquement de la religion au sens simple, mais plus à une croyance que l’on met en pratique. Je crois personnellement en un monde meilleur...) pouvaient s’accompagner d’une grande dynamique, ce serait juste la promesse de lendemains encore plus vivants et brillants. Il est possible de faire en sorte que les autres aiment aussi cette vie. Par de simples actions, il est possible de sauver la vie de ce gamin un peu paumé, un peu à la dérive. Il est possible de combler ces petits trous de misère, de désespoir, d’isolement, que notre société, a l’échelle franco-française, mais aussi plus largement humaine, créé encore au quotidien.
Tout ne peut pas être résolu à l’échelle individuelle, mais faire une petite chose à l’échelle locale, c’est provoquer un changement a plus haut niveau. En étant toujours plus aimants, plus ouverts, en pardonnant, soi-même et les autres, en s’apaisant, en véhiculant nos valeurs certes. Mais en comprenant les résistances des autres, et en essayant, si nous sommes persuadés de leur bien fondé, de les partager et d’en faire comprendre l’intérêt, plus que de les considérer comme une vérité absolue que l’on impose.
Donnons une chance à tous ceux qui ne l’ont pas encore, d’aller voir un concert de métal, d’aller boire cette bière dans notre beau Paris et nos belles provinces, d’aller en boite de nuit sans se faire refouler, et d’aller manger cambodgien si bon leur semble. Ou de ne pas le faire. Libre à eux. Libres à nous.
Quand nos blessures seront pansées, quand nos esprits seront à nouveau clairs (cessez donc les embrouiller plus que de raison, s’il vous plait), il sera vraiment temps de continuer à construire notre France idéale, moderne, ouverte et riche d’idées et d’êtres humains.